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  • Anaïs Busin et Joëline Bedart

Ils leur ont donné trois choix : payer, partir ou devenir musulmane


Vue de la ville de Qaraqosh d'où viennent Marseleya, Enas, Haneen et Mary. On aperçoit la cathédrale al-Tahira qui a été ravagée par l'Etat islamique

Marseleya Oulo, Enas Majeed, Haneen Zara et Mary Eeso sont quatre lycéennes de première scientifique du Lycée Beaupré, âgées de 17 à 19 ans, qui ont vécu en Irak. Elles ont accepté de nous en parler.

 

Ayant connu la guerre en Irak, elles n'ont pas eu une vie d'adolescente comme les autres. En effet, elles habitaient dans le coin de Qaraqosh, la plus grande ville chrétienne d’Irak, à côté de Mossoul. Jusqu’à ce que ses habitants la fuient dans la nuit du 6 au 7 août 2014 (50 000 chrétiens), face à l’arrivée de l’État islamique. Libérée en 2016 par les forces irakiennes et les milices chrétiennes, cette ville était alors appelée « ville fantôme », les habitants ayant peur d'y retourner. Mais, aujourd'hui, on estime que 60% des habitants y sont revenus.

« Qaraqosh, ville fantôme de l'Irak », France24, 29 mars 2017

Quelques faits majeurs des récentes persécutions contre les chrétiens au Moyen-Orient (P. Blanc, J.-P. Chagnollaud, Atlas du Moyen-Orient. Aux racines de la violence, Autrement, 2016. Livre disponible au CDI du lycée Beaupré)

Amalthée : Quel a été votre parcours ?

Marseleya : « L'État islamique est arrivé dans notre village et nous a donné trois choix : soit on devenait musulmanes, soit on payait chaque mois pour rester comme une sorte de loyer, ou alors on quittait la ville. On a décidé de quitter la ville. On est donc partis à Erbil [capitale de la région autonome du Kurdistan irakien, qui a accueilli de nombreux réfugiés fuyant le péril islamiste], on est restés dix heures sur la route au lieu d'une heure habituellement car il y avait beaucoup d'embouteillages. Quand on est arrivés à Erbil, il n'y avait ni appartement ni hôtel disponible. On devait donc dormir à l'église si on ne voulait pas dormir dans la rue. Je suis restée à l'église deux jours avec ma famille, ensuite on a pris une tente et on est restés deux mois, puis on a vécu dans deux caravanes. Après, les cousins de ma mère sont arrivés en France et ils ont cherché une famille d'accueil afin que l'on puisse les rejoindre. La famille d'accueil a fait des démarches auprès du consulat français d'Erbil, et après trois mois, les services du consulat nous ont appelés afin de savoir où l'on habitait et comment on vivait. Puis ils nous ont dit qu'on était acceptés en France. Un an plus tard, on est enfin arrivés ici. »

Mary : « On est restés huit mois dans un petit village en Irak. On attendait de retourner chez nous, mais notre village avait déjà été bombardé. On a tout perdu en un instant, notre maison dans laquelle on a grandi et notre meilleur ami… On a tout perdu, en fait. On a déménagé à Erbil, et après un an et demi mes parents ont décidé de venir en France car ce pays voulait bien nous accueillir. Au début, c'était vraiment difficile parce qu'il fallait apprendre le français. »

Haneen : « On est restés en Irak cinq mois avant de partir au Liban. Là-bas, la vie est très difficile. Il n'y a pas beaucoup de travail, mon père ne pouvait pas travailler, et moi étant trop petite je ne pouvais pas travailler pour aider ma famille. Ensuite, on a appelé mon oncle en France pour qu'il fasse les démarches et on est repartis en Irak après avoir vécu un an et quatre mois au Liban. C'est seulement après neuf mois que nous sommes arrivés en France. »

Enas : « Moi, c'était compliqué. Quand on est partis, on est restés chez mon oncle, il habitait dans une église. Avec nous, il y avait dix familles environ dans la même maison, donc c'était petit. Ensuite on a déménagé dans une salle qui appartient à l'église. Elle contenait soixante-quatre familles, il y avait une seule salle de bain et des toilettes, il n'y avait aucune cuisine... pratiquement rien. On est restés cinq mois, puis on est partis au Liban pendant onze mois. C'était assez compliqué, j'avais 16 ans et j'ai dû travailler ainsi que mes trois frères pour qu'on puisse vivre. On s'était rapprochés de l'ONU, qui permet aux réfugiés de partir dans le monde. Mais celle-ci ne nous a pas acceptés, je ne sais d'ailleurs toujours pas pourquoi, sûrement parce qu'il y avait trop de monde. Après, on est retournés en Irak. Un oncle vivant en France a fait les démarches au consulat de France à Erbil. On a attendu un an et huit mois afin de partir en France et pendant cette période, on est allés au consulat pour raconter notre histoire et montrer la vidéo qu'on avait prise de notre maison brûlée, pratiquement détruite… et aujourd'hui, je suis là. »

La maison d’Enas après le passage de l’État islamique

Amalthée : Avez-vous eu des chocs culturels ?

Marseleya : « Oui, par rapport à l'environnement. »

Enas : « Par exemple, en Irak l'été il fait 50°C. »

Marseleya : « Et il n'y a pas d'arbre ! »

Amalthée : Et vous avez déjà vu de la neige ?

Enas : « Pas en Irak, mais en France oui ! »

Amalthée : Qu'est-ce qui vous a marqué en France et qui est différent de l'Irak ?

Enas : « En France, il y a plus de liberté qu'en Irak. En Irak, par exemple si tu veux faire ton passeport, tu dois aller dans une autre ville et mettre le voile car c'est un pays musulman, alors qu'ici on peut tout faire. »

Marseleya : « Puis on pouvait pas porter des jupes ou robes courtes. »

Enas : « Pour aller à l'université en Irak, ça ne se trouve pas dans la même commune, et on est obligées de porter le voile pour aller dans cette université. En Irak, la moyenne est sur 100 et pour y aller il faut avoir au moins 98… le système scolaire français est donc beaucoup plus simple. »

Marseleya et Enas : « Puis en Irak les filles et les garçons sont séparés à l'école, mais on préfère les écoles mixtes car c'est plus facile de s'y intégrer. »

Amalthée : Pouvez-vous nous donner une anecdote significative des chocs que vous avez vécus depuis que vous êtes ici ?

Marseleya : « Le premier jour, quand je suis arrivée le soir en France, j'étais dans une famille d'accueil qui habitait dans une forêt. Cela m'a choquée quand, le matin, j'ai vu tous ces arbres. »

Enas : « Puisqu'en Irak, il n'y a pas d'arbre et tout est sale partout. »

Amalthée : Vous connaissiez-vous avant ?

Mary : « Haneen et moi, on était dans la même classe en Irak. »

Amalthée : Avec qui vous vivez ?

Enas : « J'ai été sept mois en famille d'accueil, après j'ai déménagé et je vis aujourd'hui avec mes parents et mes petits frères. »

Marseleya : « Quand je suis arrivée, je vivais avec ma famille dans une maison à côté de celle de la famille d'accueil. L'année dernière, j'ai déménagé et maintenant je vis seulement avec ma famille. »

Haneen : « Moi j'ai vécu en famille d'accueil avec ma famille, puis on a déménagé. »

Mary : « Moi j'ai toujours vécu qu'avec mes parents. »

Amalthée : Comment s'est passée votre intégration ?

Marseleya : « Quand on est arrivées, c'était très difficile car on ne savait pas parler français du tout. On a eu des cours particuliers et c'était difficile la première année, mais la deuxième on était plus habituées, ça allait mieux. »

Amalthée : Avez-vous mis du temps à apprendre la langue ?

Enas : « J'ai appris le français en quatre mois, puisque ma famille d'accueil était française et ne me parlait qu'en Français. »

Amalthée : Voulez-vous vivre en France toute votre vie ou aimeriez-vous voyager ?

Marseleya : « Rester en France. »

Enas : « Ah non ! Moi je veux voyager. Je veux aller chez mon frère aux Etats-Unis, ça fait cinq ans que je n'ai pas vu mon frère et sa famille. J'aimerais d'abord avoir la nationalité française parce que sinon je ne peux pas. J'ai un passeport, mais je dois avoir un visa et je n’ai pratiquement aucune chance de l'avoir parce que je ne suis pas Française. »

Amalthée : Qu'est-ce qui vous manque le plus en Irak ?

Marseleya : « La famille proche et les amis. »

Enas : « C'est ma maison qui me manque le plus parce que je n'ai plus de famille en Irak, on est tous partis. J'ai un frère aux Etats Unis, j'ai un frère en Allemagne, j'ai beaucoup de famille un peu partout et je leur parle grâce aux réseaux sociaux. »

Amalthée : Vous n'y êtes pas retournées depuis ?

Enas : « Non, et on ne veut pas y retourner. On ne va jamais y retourner. »

Marseleya : « Et en plus, on n’a plus de maison car notre maison a brûlé. »

Amalthée : Est-ce que vous suivez la situation actuelle de l'Irak ?

Enas : « Oui. Notre ville s'appelle Qaraqosh. Tous les habitants sont chrétiens et maintenant beaucoup, je pense, y sont retournés. Moi, personnellement, je ne veux plus vivre là-bas, il n'y a rien, pas d'activités, pas de vie. »

Marseleya : « Il n'y a pas d'avenir tout simplement. »

Amalthée : Maintenant que vous avez du recul sur cette situation, qu'en pensez-vous ?

Enas : « C'est pire qu'avant et c'est injuste franchement, parce qu'avant il y avait des maisons, etc., on peut dire que le pays était en train de se développer. Mais aujourd'hui, toutes les maisons ont été détruites ou brûlées. Par exemple, notre maison est brûlée et les voisins habitent juste à côté. Personnellement, je ne voudrais pas habiter à côté d'une maison détruite. »

Marseleya : « En plus, si on retourne là-bas, on sera dans l'obligation de refaire notre maison et il n'y a pas de travail, donc ce serait compliqué. »

Amalthée : Avez-vous peur d'y retourner ?

Toutes, instantanément : « Oui. »

Marseleya, Enas, Haneen et Mary ont eu la force de nous parler de leur vécu en Irak et se battent aujourd'hui pour obtenir la nationalité française. Nous leurs souhaitons en tout cas de réussir, et la meilleure intégration possible dans notre pays et notre lycée.

Le média lycéen de Beaupré et d'ailleurs

Amalthée

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