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  • Alix Licour et Elisa Martin

« Entre les actions de résistance, nous menions la vie normale des autres lycéens »


La rencontre des 1ères S3 avec Pierre Charret

Vendredi 13 avril, les élèves de 1S3 ont rencontré Pierre Charret, résistant de la Seconde Guerre mondiale. Une émouvante plongée dans l’histoire, grâce à cet homme qui était encore lycéen quand il a commencé à lutter contre Vichy et l’occupant nazi.

 

Accompagnés de leur professeur d'Histoire-Géographie, les élèves ont pu écouter son expérience d'ancien combattant, mais aussi lui poser des questions.

Un enfant de l’entre-deux-guerres

Pierre Charret est né le 4 décembre 1925 en Haute-Vienne. Sa famille, comme beaucoup d’autres, a été touchée par la Première Guerre mondiale. Son père en est ressorti blessé, gazé et tuberculeux. Dans les années 1930, Pierre était trop petit pour comprendre la montée des fascismes un peu partout en Europe, mais il explique que la tendance était alors au culte du chef, au pouvoir d’un seul. Dans sa famille, l’engagement contre cette tendance était fort, à l’image d’un de ses oncles qui conduisait des convois pour aider les républicains espagnols en guerre contre les nationalistes du général Franco.

Sur cette photographie prise dans un hôpital militaire entre 1914 et 1918, on aperçoit le père de Pierre tout en haut à droite, en uniforme noir. Il a une jambe fracturée.

Lycéen et résistant

Pendant la guerre, Pierre étudiait au lycée de Guéret (Creuse) pour devenir instituteur. Au retour des vacances de l’été 1943, chaque camarade de classe raconte des anecdotes de vacances. Jusqu'à celles de Marc Parrotin qui avait commencé son acte de résistance, en apportant son aide à des maquisards près de chez lui : « Il nous raconte l'activité du maquis, et à quatre camarades nous décidons de créer un groupe de Résistance lycéen. Ce sera le groupe "René Laforge" en mémoire d'un normalien de Dijon fusillé par les allemands. » La bande d’amis se rapproche des Francs-tireurs et partisans, le bras armé du parti communiste.

Cette photographie a été prise à l’intérieur du lycée de Guéret en 1942. Tous ces camarades sont normaliens (ils se préparent à devenir instituteurs), et six parmi eux feront partie du groupe « René Laforge » : Pierre Charret (deuxième rang à gauche), Raymond Chaput, Marc Parrotin, Gabriel Taranchon (les trois au deuxième rang à partir de la droite), Armand Torchon (premier rang à gauche) et Pierre Jammet (premier rang, le deuxième en partant de la droite).

« À la barbe des Allemands »

Pierre entre alors en résistance active. Il revient sur plusieurs aventures qu'il a vécues durant cette période. Comme celle où il est allé chercher des tickets de rationnement auprès du maire pour les clandestins des maquis non loin de chez lui. Il y était allé à vélo, armé, et le maire avait donné les tickets sans hésitation. Ou encore lorsqu’il a dû aller en pleine nuit chercher des vêtements qu'il transportait jusqu'à un camion à l'aide d'une civière, il ne devait surtout pas faire de bruit, ni se faire repérer. Ou alors récupérer des explosifs ou des armes, et les cacher… Pierre se souvient par exemple du « transport d’un fusil-mitrailleur à trois sur nos vélos en plein jour dans Guéret à la barbe des Allemands ».

Photographie prise en mai 1944, peut-être au retour d’une action de résistance… Pierre Charret (au premier plan) est accompagné de Raymond Chaput qui tient le vélo.

Sa mère reconnue pour avoir aidé des enfants juifs

Tous les élèves étaient très attentifs, autant qu'admiratifs du parcours de Pierre Charret. Pensant à leur propre situation, ils se sont demandé si sa famille était inquiète, surtout après le débarquement en Normandie quand Pierre a décidé de rejoindre un maquis. En fait, sa mère était bien sûr inquiète pour lui, les risques qu'encouraient les résistants étant très grands. Mais Pierre apprendra plus tard que sa mère avait résisté, elle aussi, à sa façon. Lingère-infirmière à l'internat de l'école de La Souterraine, elle a protégé des enfants juifs cachés dans l'établissement grâce à la complicité du directeur. L'un deux, devenu adulte, a planté dix arbres en Israël en hommage à sa mère et Pierre a reçu plusieurs témoignages attestant ses actes de bravoure.

De retour en classe, les élèves ont pu rédiger une lettre à l'homme que certains considèrent comme un héros. C'était aussi l'occasion de lui poser toutes les questions qu'ils n'avaient pas pu lui poser, faute de temps. Pierre les a lues avec attention et a pris le soin de leur répondre. Nous tenons donc à publier ses réponses ci-dessous.

« Aux lycéens de Beaupré. Quelques réponses à vos questions... »

Les élèves : Étiez-vous au courant du sort qui était réservé aux juifs ? Saviez-vous qu’il existait des camps d’extermination quand vous êtes entré dans la Résistance ? Sinon, quand et comment l’avez-vous appris ?

Pierre Charret : Il a fallu longtemps avant qu'on sache le sort réservé aux juifs par Hitler. Les dirigeants anglais et français l'ont su par des témoignages assez tôt mais n'ont pas diffusé l'info. Ils diront plus tard qu'ils craignaient l'effet de telles révélations... qui n'interviendront que lorsque l'armée rouge, puis l'armée US libéreront les camps. Et la réalité des horreurs ne sera connue qu'au retour des déportés survivants... en mai 1945 !

On a su plus tôt bien sûr que les Allemands et le gouvernement de Pétain les arrêtaient, les enfermaient (mais aucun media ne montrait les camps en France même). On « aryanisait » leurs biens (au bénéfice des collabos) sans protestation. Les résistants connaissaient l'existence de camps où on avait enfermé dès 1939 les Républicains espagnols, les communistes et les étrangers « suspects » et bientôt les juifs, mais la déportation est intervenue plus tard et sans publicité ! Et les déportés ignoraient la destination et le sort qui les attendaient.

Les juifs étaient-ils souvent signalés aux nazis ?

Dans ma région comme dans toute la France, il ya eu beaucoup de dénonciations de résistants et de juifs. On ne connaissait pas les dénonciateurs (par lettres anonymes). Jusqu'au 11 novembre 42 (arrivée des Allemands dans la zone « libre », après le débarquement en Afrique du Nord), c'est la police de Vichy qui organise ce « joli » travail souvent avec zèle. Les juifs et les résistants qui se savent traqués se cachent, se déplacent, cherchent des refuges. Dans la Creuse, ils trouveront de l'aide, des complicités. Beaucoup échapperont aux arrestations. Mais ils viennent souvent de loin et ont dû abandonner tous leurs biens. Ceux qui les cachent courent aussi le risque d'être emprisonnés.

Les Français sont-ils devenus antisémites ou aidaient-ils les juifs ?

En Creuse, une organisation juive d'entraide l'OSE (organisation de secours aux enfants) a placé beaucoup d'enfants, confiés par des parents pourchassés, dans des châteaux ou de grandes demeures, des villages où ils ont été un temps scolarisés avant d'être l'objet de rafles. Mais après le débarquement, les gendarmes ont prévenu la veille d'une rafle et les paysans ont caché les enfants qui ont échappé à la déportation.

Avez-vous vu des SS ?

On ne les verra à l'œuvre dans notre région qu'en juin 44 avec la Division « DAS REICH », celle qui commettra le massacre d'Oradour le 10 juin... et d'autres, notamment la veille, le 9 juin 44 à Tulle, près de Guéret et à Argenton-sur-Creuse.

Avant cette intervention, c'étaient les policiers de Vichy, les GMR (Groupes Mobiles de Réserve) et la Milice, qui poursuivaient et massacraient souvent les maquisards. Mon camarade Marc Parrotin de notre groupe « René Laforge » a subi la torture d'un chef milicien à la prison de Limoges, mais il n’a pas parlé.

Pierre Charret (à droite) avec Marc Parrotin en 2010.

Pourquoi êtes-vous entré en résistance ? Pour contrer les Allemands ou par patriotisme ? Parce que vous aimiez le danger ?

Ce n'est pas par amour du risque que nous nous sommes engagés dans la Résistance mais parce que nous subissions les conséquences de la guerre et de l'occupation, le rationnement, l'interdiction des libertés, y compris les rassemblements comme les bals, l'arrestation et le massacre de camarades du maquis, la menace du STO (Service du travail obligatoire en Allemagne), et que la Résistance montrait qu'on pouvait combattre l'occupant et aider les Alliés qui menaient la guerre. Nous avions la haine de l'occupant et des collabos de Vichy. Évidemment, entre camarades du groupe, nous étions solidaires et en confiance, et entre les actions de résistance, nous menions la vie normale des autres lycéens.

Y avait-il des femmes résistantes ?

À cette époque, on ne connaissait pas la mixité. Les filles étaient dans une autre école, le lycée de filles de Guéret et on se voyait peu, sinon notre groupe de résistance aurait eu là des adhésions. Car les jeunes filles, les femmes, ont aussi participé à la Résistance et partagé les mêmes risques. J'ai connu des agents de liaison féminines, indispensables à notre activité.

Avez-vous des amis de la Résistance toujours en vie ? Connaissiez-vous beaucoup de gens dans la Résistance ?

Je n'ai malheureusement plus de camarades de Résistance ; les derniers sont décédés l'année dernière. Nous étions restés très proches et avons souvent témoigné ensemble.

Avez-vous été amené à tuer des gens ou des Allemands ? Si oui, l’avez-vous regretté ?

Ai-je tué des Allemands ? Certainement, mais pas en combat singulier, dans nos embuscades avec le maquis de l'Indre que j'ai rejoint au débarquement. Pourquoi le regretterais-je ? On ne regrette pas d'avoir contribué à chasser l'occupant et abattre le régime hitlérien.

Quelle est la mission qui vous a le plus marqué ? L’action la plus importante que vous avez faite ?

L'engagement le plus important auquel j'ai participé, c'est l'embuscade où nous avons surpris un détachement allemand près du barrage d'Eguzon. Nous avons eu un camarade tué mais les Allemands ont compté une vingtaine de morts.

Avez-vous vu des proches mourir pendant la guerre ? Si oui, qu’est-ce qui vous a permis de continuer la Résistance, de ne pas perdre espoir ?

J'ai vu plusieurs copains blessés ou tués mais nous avons continué notre activité. Notre engagement était conscient et solidaire. Il y avait entre nous une grande fraternité, sans distinction de nationalité. Il y avait parmi nous des Espagnols, des Italiens, des juifs et la même confiance régnait entre nous.

Avez-vous dû aller combattre des Allemands sur le front ?

Après la Libération de ma région, j'ai signé un engagement volontaire pour la durée de la guerre contre l'Allemagne, comme beaucoup de FFI. Et j'ai rejoint un régiment de volontaires creusois, le 13e R.I., pour combattre les Allemands retranchés dans La Rochelle jusqu'à la capitulation du 8 mai 1945. J’y avais retrouvé Marc Parrotin engagé lui aussi après sa libération de la prison de Limoges.

Avez-vous déjà pensé à renoncer à la résistance par peur de mourir ?

Je n'ai jamais pensé à renoncer malgré les conseils de ma mère qui, de son côté, prenait les mêmes risques.

Après la guerre, avez-vous retrouvé votre famille ? Comment avez-vous vécu la Libération ? Avez-vous été récompensé pour votre courage ? Avez-vous repris le cours normal de votre existence ? Avez-vous changé de mode de vie, réussi à passer d’une société en guerre à une société « normale » ? Pourquoi êtes-vous devenu instituteur ?

J'ai été démobilisé en septembre 1945, j'ai retrouvé ma famille et repris mes études. J'ai retrouvé mes camarades normaliens à l'École Normale de Moulins pour la formation d'instituteur. C'était bien sûr un changement de vie, mais la préoccupation générale alors, c'était de relever la France durement frappée par la guerre. Nous n'attendions pas de récompense. Nous avons reçu, six ans après, la médaille du CVR (Combattant Volontaire de la Résistance) et Combattant 39-45 pour les engagés de 1944 [ndlr : Pierre Charret vient d'être nommé Chevalier de la Légion d'Honneur].

La carte de combattant volontaire de la résistance attribuée à Pierre Charret, par le préfet du Nord, où il s’est installé avec sa femme après la guerre. Environ 230 000 cartes comme celle-ci ont été délivrées : la Résistance n’a concerné qu’une minorité de la population.

J'ai été nommé à mon premier poste d'instituteur à la rentrée 1946, à Faux-la Montagne, dans ma Creuse. J'ai alors épousé la femme du Nord que j'avais rencontrée pendant la guerre. Et nous avons milité ensemble comme citoyens, au Syndicat et aussi au Parti Communiste, dans la perspective ouverte par le Programme du CNR (Conseil National de la Résistance). Je n'ai pas encore trouvé de raisons de le regretter.

Que pensez-vous de la jeunesse d’aujourd’hui ? Si vous aviez un conseil à donner à tous les jeunes, lequel serait-il ?

Ce que je pense de la jeunesse d'aujourd'hui ? Beaucoup d'épreuves l'attendent et d'incertitudes dans une société qui ne lui fait pas de cadeau. Elle aura besoin aussi de solidarité pour exiger son droit à un avenir heureux dans un monde en Paix et où les peuples coopéreront fraternellement, sans barrières de races, de religion ou d'opinion. La connaissance de l'histoire lui est indispensable. Je lui souhaite bon courage et bonne chance !

Le média lycéen de Beaupré et d'ailleurs

Amalthée

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